Les îles Célestes. Immenses blocs
de roches suspendues entre ciel et terre. Des roches recouvertes de mousse
verte, de crêtes montagneuses et d’innombrables ruines. Leur existence à
elle seule était un mystère que ni le temps, ni les guerres n’avaient épargné.
Le commun des mortels condamné à
demeurer ici-bas les nommait tout simplement le monde d’en haut. Jusqu’à
présent, personne n’était parvenu à expliquer par quel étrange phénomène
physique ou magique elles tenaient en suspension sans jamais s’écraser sur
terre. Elles défiaient à elles seules la théorie de la gravitation universelle.
D’après les écritures Sainte, les
Iles Célestes seraient le dernier vestige de ce qui fut autrefois le jardin
d’Eden. Une preuve vivante que les Dieux de l’Ordre auraient accordée à
l’humanité. Parfois il arrivait qu’un individu assez chanceux fut touché par la
grâce et accède au monde d’En Haut. Mais ce phénomène était bien rare. On
ignorait comment les élus étaient sélectionnés, combien il y en avait chaque
année ou même leur identité.
Avant la Grande Guerre, Les Iles
Célestes avaient été la résidence principale des Seigneurs de Guerre. Aujourd’hui, elles
abritaient les quartiers du Haut-Conseil, officiellement la plus grande
autorité des sept royaumes. Si très peu d’archives existaient sur les Îles
Célestes, (la plupart ayant été détruit durant la grande purge près d’un
millénaire plus tôt), tous s’accordaient à considérer ces énormes rochers comme
un lieu de pouvoir. Les curieux et les arrivistes qui tentèrent d’en percer le
secret ne revinrent jamais. Depuis plus
de cinq siècles, personne n’avait osé s’y aventurer. Ce qui se passait sur les
Îles Célestes demeuraient aux Îles Célestes.
Bien entendu il existait des
histoires. Certaines vraies certaines fausses.
La jeunesse éternelle n’existant toujours
pas, à moins d’utiliser la magie, d’avoir passé un pacte avec une entité
quelconque (la plupart mentent, même par omission. Dans tous les cas vous ne
serez jamais gagnants); ou d’être soi-même une créature magique. Les humains
mortels naissent, vivent et meurent tout
aussi rapidement. C’est ce qu’on nomme communément le cycle de la vie. Or sur
les Îles Célestes les tracas si communs aux mortels que nous étions n’avaient
pas leur place. Pas de Vie, pas de Mort, pas de Désir, pas de Maladies. Les émotions y étaient jugées imprévisibles
et par conséquent dangereuses. Elles
étaient une menace pour la perfection et l’ordre auxquelles les habitants des
Îles Célestes aspiraient.
Parfois, le Haut-Conseil faisait
appel à une équipe de nettoyage spécialisé, dont la fonction était de supprimer
tout élément susceptible de troubler l’ordre publique. Le processus était alors
appliqué dans la discrétion la plus absolue. Tout danger était implacablement
éradiqué. La perfection primait. Le monde d’En Haut ne vivait pas, il faisait
semblant de vivre parfaitement.
CHAPITRE 1:
Plongée dans l'obscurité la plus complète, je
me déplaçais sans bruits. Voir dans le
noir ne me posait en général aucunes difficultés particulières. Je préférai
simplement limiter les fonctions de mon corps au minimum humain moyen autorisé.
Ce que j'étais aussi ou pas. Je veux dire humaine. J'avais toujours été un cas
sur lequel il était difficile de statuer. Trop humaine ou légèrement
monstrueuse. Dans tous les cas utilisées ici mes capacités spéciales était hors
de question, surtout si des champs
d’attractions étaient encore actifs. Je risquerais d’attirer l’attention de la
sécurité.
J'enjambai le corps sans vie qui
dégageait une odeur de pourriture. Il était encore chaud, le meurtre avait eu lieu récemment. Logiquement le processus de
décomposition n’interviendrait que quelques heures plus tard mais ce cadavre
avait décidé de s’auto détruire plus rapidement. Une méthode comme une autre pour ne laisser aucunes
traces. Sympathique le mort. S’ils pouvaient
tous être aussi prévenant mon travail serait grandement facilité. Pas de
cadavre, pas de trace, pas de nettoyage.
L’identité du mort ne
m’intéressait pas. C’était un mort, un idiot et un paladin. Il était inutile de
s’attacher aux détails. Croire qu'être au service du roi Darius lui apporterait
tout ce dont il avait rêvé. Illusions ! La question principale était pourquoi
un paladin se trouverait ici évidement ? C’était risqué et il aurait dû le
savoir.
Je m'approchai de la bibliothèque
d'apparat et enclenchai le mécanisme dissimulé dans la reliure du livre à
double fond. Les pans s'écartèrent comme prévu. Le coffre était là, fermé comme
convenue. Glissant le doigt sur la serrure rouillée, je fermais les yeux. La
surface était lisse, aucun changement de particules ne m'indiqua la présence de
détonateurs ou de la moindre sécurité. De la magie ? Je me concentrais
davantage, triant chaque particule les classant, les répertoriant dans un coin
de ma tête.
Non plus. Étrange. Il fallait
être fou pour laisser un objet d'une telle valeur sans protection ou être
vraiment sur de soi et prétentieux. Or c'était ce que tous les paladins
étaient.
Des êtres arrogants, prétentieux
et insolents. Ils se surnommaient les chevaliers du ciel parce qu'ils avaient,
disaient-ils, été choisi pour chevaucher les dragons. Ils pensaient être
intouchables. Ils furent les derniers à se rendre compte de leur propre déclin.
Au final, même après toute cette histoire, ils ne comprirent jamais qu'il leur
fallait faire profil bas, ils continuaient de s'annoncer partout où ils
passaient, allant et venant comme bon leur sembler. Jusqu'à ce qu'un jour, une
pauvre âme décide de répondre à l'avis
de recherche et d'abattre un de ces prétendus gêneurs. Voyant qu'être chasseur
de prime rapportait beaucoup plus d'argent que cultivait son champ, on vit
l'émergence d'une centaine de tueurs (des paysans sans le sous) qui pour la plupart n'avaient
jamais tenu d'armes de leur vie. Et ce fut vraiment la fin des paladins. À dix
contre un, le bilan était rapidement fait. La vie était dure, l’argent était
rare et le bonheur qu’un ramassis de connerie.
J'ouvris le coffre en
vermeil. Il était là ! L'œuf reposait
sur un trépied finement ciselé et délicatement maintenue par des attaches en
or. Magnifique. Avec une circonférence d'une quarantaine de centimètres, strié
de veines de couleurs brunâtres, sa surface dure et lisse allait d'une nuance
brun foncé à une teinte rouge vive qui se dégradé en divers tons orangés. J'étalais
un grand carré de soie noir sur lequel
je déposai précautionneusement le trépied et son œuf que je recouvris
chaudement avant de le glisser dans ma besace de cuir noir.
Je refermai le coffre et le
replaçai dans la bibliothèque à son emplacement original. Un coup d'œil me
suffit pour faire le tour de la chambre à la recherche du moindre indice qui
aurait pu me trahir.
Rien. J’avais préparé cette
mission depuis des semaines et j’étais douée.
Je pris le chemin de la sortie.
Je connaissais mon métier et j'y excellais. Le vol au même titre que le meurtre
était devenu pour moi une seconde nature. Toujours aussi furtivement,
j'entrebâillai la porte, aucune lumière ne filtrait à cette heure tardive. Je
me glissais par l'ouverture.
Froid !
Le choc me surprit et je retins
difficilement un cri. Une main froide aux doigts décharnés, agrippé ma cheville. Mon cœur fit une embardé. Le mort
remuait lentement les lèvres mais aucuns sons ne s’échappaient de sa bouche.
Quelque soit le mot qu'il cherchait à articuler, cela lui demandait trop
d'efforts. L’odeur de putréfaction qui s'élevait du cadavre avait atteint des
proportions inhabituelles. Je remarquais les chaires tuméfiées, la
décomposition si rapide du corps tandis
que la force de la poigne qui me retenait prisonnière s'intensifiait au point
de devenir plus que douloureuse.
Finalement je ne trouvais plus le
cadavre aussi sympathique.
Je ressentis une violente vague
d’énergie et c’était tout sauf de la bonne énergie. Elle me rappelait l’odeur
pestilentielle que pouvait dégager un membre gangréné.
Nécromancie. Je frissonnais.
Quelqu'un, quelque part en cet instant utilisait la magie des morts. Magie
censé être interdite et bannie. Je m'arrachai brutalement à la prise du mort
vivant. Les dents claquèrent, proches et rapides.
- Tu as faim n'est-ce pas?
Comme s’il était capable de me
comprendre.
Je posai mon sac sur le lit à
baldaquin en gardant les yeux fixés sur le revenant. Ces choses pouvaient être
vraiment rapides lorsqu'elles avaient faim. Les yeux exorbitaient, le cadavre
s'élança sur moi. J'esquivai. Les doigts lents et décharnés qui tentaient de
m'atteindre faisaient frémir l'air autour de nous.
Je devais absolument le mettre
hors d'état de nuire mais j'ignorais ce qui avait activé le processus de
résurrection. Quel objet ? L'œuf ! Je me serai giflé, à part l'œuf ou tout au
moins le trépied il n’y avait rien d’autre.
La créature me sauta dessus, me percutant de plein fouet.
Je roulai au sol. La chute me coupa le souffle.
De mon bras, Je me protégeai le visage au moment où il tenta de me
griffer. Il était fort. Ce qui n'était pas étonnant pour un paladin. Ils
étaient entrainés au combat dès leur plus jeune âge. Je le repoussai d'un coup
de pied au ventre. Roulant sur moi-même, je me remis debout. La créature me
regardait l'œil torve, la bave à la lèvre. Ses os saillaient de sa cage thoracique qui continuait contre
toute attente à se soulever.
Je n'avais jamais entendu parler
de ce phénomène. Ce n'est pas comme s j'étais une spécialiste des
morts-vivants, non plus. Il ne respirait plus, de cela j'en étais certaine,
puisque qu'il n'absorbait pas d'air alors que respirait-il exactement ?
Je me décidai à l’affronter sérieusement.
-
Tu veux jouer ? alors viens.
Il me répondit par un étrange
gargouillis. Dégoutant ! Le corps ambulant plongea sur moi dans le but
évident d’effectuer un plaquage au sol. Je me laissai tombé en arrière et me
saisis de ses maigres poignets pour le faire basculer sous moi. Nous, nous
battîmes quelques secondes. Seuls des bruits étouffés s'élevaient au milieu de
la pièce silencieuse. Il m'attrapa les cheveux et cogna ma tête contre le sol.
La douleur fulgurante me martela les tempes. Il emprisonna mon corps dans
l'étau de ses bras. Les relents nauséabonds qu'il dégageait me donnaient la nausée.
« Ressaisis-toi », murmurai-je pour moi-même. L'inquiétude
commençait à me gagnait. Esquiver les claquements de dents qui me menaçaient
n'étaient pas une mince à faire. Il me fallait une arme et la seule dont je
disposais était suspendue à mon cou. Je me tortillai, me démenant pour libérer
mon bras emprisonné.
Enfin !
- Putain !
Le cri s'échappa malgré-moi.
Il me mordait. Je sentais la
mâchoire augmentait sa pression sur mon épaule. Je me cabrai et roulai sur
moi-même furieuse. Il était hors de question que je devienne le gouter d'un
mort vivant, aussi faible en plus. Il n’avait pas eu le temps de se nourrir.
La manœuvre avait fonctionné. Je
l'avais bloqué contre le mur, lui coupant toute échappatoire. Je me saisis d'un
geste vif de mon poignard qui pendait à mon cou et le plongeai dans celui de la
créature. Il hurla de rage et de fureur. Un cri inhumain. En tout cas ce n'était pas de la douleur, il
en était dépourvu. Je me forçais à plonger ma lame plus profondément pour
atteindre la jugulaire. Le cri devenait insoutenable. J'attrapai le mort par
les cheveux et tirai la tête en arrière, bandant mes muscles. J'exposai son cou
nu et sans défense et d'un geste brutal, je traçais un sillon de sang sur sa
gorge. Sous ma main, le poignard chauffait, devenait brulant. Le cadavre
luttait, combattait. J'augmentai la pression sur la nuque de ma victime pour
permettre au poignard d’absorber le sort. Je rencontrai ses yeux. Vides, des
trous exorbités, terrifiés.la bouche remua de nouveau. Puis toute magie s’éteignit.
La chose qui s’était nourrie de lui et l’avait utilisée l’avaient enfin
abandonné. Il n’était plus qu’un corps décrépit. Le sang gicla éclaboussant mon
visage.
- Le….pro….ge.
Apparemment il subsistait encore en lui une dernière lueur
de lucidité.
- C’est ça mon pote, si t’avais une dernière volonté, il
fallait y penser avant d’essayer de me bouffer.
Les mains moites de sang, (le
geyser continuait de s'échapper de la gorge qui présentait une lacération
béante), je saisis sa tête et tournais. Sous mes doigts, je sentais les os
facial du visage se brisaient lentement. Dans un dernier effort, je tirai. Un
craquement sinistre résonna. Je laissai la tête retomber sur la moquette gorgée
de sang. C'était fini. Je me redressai et m'accroupis contre le mur loin du
cadavre, le temps de reprendre mon souffle. Je nettoyai ma lame et la replaçais
dans son fourreau toujours suspendue à mon cou. Immédiatement, une douce
chaleur m'envahit, prenant son origine à l'intérieur même de ma poitrine. Le
poignard était doué de certaines particularités mystérieuses dont j’avais pu
tester l’efficacité au cours de toutes ces années. Il recelait en lui de la
puissance, bien que j’ignore ce qu'il était réellement. Je l’avais reçu en
cadeau, si l’on pouvait dire ça, plusieurs années plus tôt. De qui ? Je
n’en avais pas la moindre idée. Je m’étais déjà rendu compte que ma mémoire
possédait une fonction sélective qu’elle utilisait à son gré.
Recouverte de sang, je tentai de
me débarbouiller du mieux que je pus, mon but était surtout de ne pas laisser
de traces. S'échapper par la porte n'étant plus une option, il ne me restait
que la fenêtre.
Je passai par le balcon, grimpai
sur la balustrade et observai en bas, la ville silencieuse:
On était au milieu de nulle part,
rien aux alentours. En bas, La cité était plongée dans les ténèbres,
enveloppait d'un voile noir et opaque et pourtant même à cette distance…
Je me figeai. Mon souffle dans
l'air glacial formait une buée blanche. Je plissai les yeux, concentrant toute
mon énergie sur le roulement. Aucuns battements de cœurs, aucunes respirations
et encore moins de puissance, mais ils étaient bien là. Je les entendais, je
voyais chacun de leur pas tandis qu'ils avançaient lentement tel un seul corps.
D'en bas, je ne percevais que
l'écho de leur pas lourd qui dérangeait le silence de la Cité. Ils étaient très
nombreux. Une armée. Une véritable armée arrachée de la terre.
La vision s'évanouit aussi
rapidement qu'elle était apparue.
Disparu, il n'y avait plus rien.
Seul subsistait les relents d'une odeur nauséabonde et insoutenable. Qui que ce
soit, il ne maitrisait pas encore totalement la technique de résurrection.
J’allais peut-être devoir faire un compte rendu. Tout ce que je n’appréciais
pas.
Je récupérai mon sac, le passai autour de moi et grimpai sur
la balustrade. L'aéronef bien qu'invisible m'attendait en bas, parfaitement
dissimulée. Bientôt, je ne pourrais plus l’utiliser pour mes petites escapades
au risque d’attirer l’attention.
Mais d’abord…. Je sautais dans le vide. Il était temps de jouer
au chat et à la souris.
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