Dehors les frangipaniers étaient en fleurs…
Réfugiée dans l’obscurité du wagon je fuyais la lumière éblouissante qui me brulait les yeux. La peau ridée de mon visage n’était plus qu’un parchemin desséché. Je regardais sans voir les rues animées qui disparaissaient à ma vue. J’étais bien ici, mes vieux os pouvaient enfin se reposer. Il ne faisait pas chaud, il ne faisait pas froid non plus.
Mon corps lourd se balançait lentement d’avant en arrière, bercée par le cahotement du train.
J’étais entrée à son service. J’avais participé aux complots ; aux meurtres ; à son ascension…Le pouvoir ! Si futile, si éphémère et pourtant la seule arme derrière laquelle les hommes ne cesseraient jamais de courir. Il n’était qu’une douce et mortelle illusion.
Je savais qu’il m’avait aimé. Aimé comme un enfant pouvait aimer sa mère ou sa sœur. Je l’avais protégé des couteaux dans le noir, des fausses paroles. Je l’avais porté lorsqu’il ne possédait rien, alors qu’il n’était rien. Je lui avais tout donné.
Le train filait rapidement. À travers les vitres sales, mes yeux épuisaient contemplaient pour la dernière fois les toits éclatants des temples d’Ayutthaya avec ses rires, ses chants et ses gens. Je fuyais la vie comme certains fuyaient la mort, sans regrets.
Je cherchais une position plus agréable. Mon dos douloureux m’élançait et les sièges de bois durs n’aidaient en rien.
Trois ans déjà… Morts. Ils étaient tous morts : Amis, amants, concubines, parents. La cour du roi était en cendre et pourtant dès demain, de nouvelles fleurs pousseraient sur les anciennes. La vie reprendrait ses droits et effacerait ce qui devait l’être.
L’odeur d’urine, d’excréments et de transpiration rendaient l’air infect mais je les ignorais, tout comme j’ignorais les bruits autour de moi. On s’y habituait. On s’habituait toujours.
Je fermais les yeux et appuyai ma tête contre le panneau de bois derrière moi.
J’étais si las de cette vie. Dans six heures j’arriverai dans ma nouvelle demeure. Toutes les dettes seront enfin payées.
J’ouvris les yeux. Un garde de Siam se tenait au-dessus de moi. La casquette brune vissait sur son crâne lui mangeait une partie du visage. Je ne le reconnaissais pas et pourtant il me paraissait tellement familier. L’homme me présenta une petite cassette en bois.
Intriguée, je l'ouvris de mes doigts tremblants et noueux.
je découvris à l'intérieur une petite fiole que je fixais intensément. je n'étais pas allée assez loin...Il ne m'avait pas oublié. Rassurée, je souris. Je portais le flacon à mes lèvres sèches et respirai les effluves fruités. En face de moi, le bourreau attendait impassible.
Il était temps pour moi aussi...
J'avalai le liquide sucré. Quelques secondes plus tard, une douce torpeur m'envahit. La fiole s'échappa de ma main.
Le reverrai-je dans ma prochaine vie? Se sentira-t-il seul sur son trône froid? Aura-t-il une petite pensée pour moi?
Tout était si confortable ici. Ce silence, cette obscurité...
"Adieu...", chuchota mon cœur enfin libéré.
Dehors, les frangipaniers étaient en fleurs...
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