vendredi 20 novembre 2015

L’art d’acheter une paire de chaussure 2

L’art d’acheter une paire de chaussure 2


Mardi 6H15 : Sous la couette

Journée pluvieuse de Printemps et nouvelle journée de travail. Rien que d’y penser, je referme les yeux. J’avais mal dormi. On était quel jour déjà…Plusieurs secondes me sont nécessaires, puis c’est le déclic. Je me redresse comme un ressort. Mardi ! Ce qui signifie CHAUSSURES. Ce mot glisse sur ma langue d’une manière si sexy. Ce mot a le même effet sensationnel qu’un délicieux morceau de chocolat. Je le goute lentement jusqu’à ce qu’il fonde doucement dans la bouche. Si doux, si sucrée…Si intense. Je sens mon cœur palpiter.
Palpitations qui se brisent net quelques secondes plus tard. Retour brutal à la réalité. Je n’aurais jamais le temps !

Et pourtant, j’y avais pensé tout le Week-end.

 Je me revois encore en plein rêve:

Au début tout va bien. Je suis heureuse, adulée par des fans. Mon visage est placardé partout.
Je marche avec l’allure d’une star sur Hollywood Boulevard au milieu des strass et des paillettes.  Autour de moi il y a une foule de monde.
  Tout d’un coup, le rêve change.
 Je me trouve dans une petite allée déserte, sombre et crasseuse, entourée de poubelles nauséabondes et de murs de briques rouge. L’écho du très kitsh Open Your Heart de Madonna résonne au loin. Je suis seule avec cet inconnu dont je ne distingue que les grosses lunettes de ski et le long couteau de boucher qu’il tient  à la main droite. Il se tient devant moi, immobile. Il respire bruyamment. Le silence est lourd. Je n’entends plus que ça : le bruit de sa respiration qui est de plus en plus rapide. L’inconnu avance de quelques pas puis s’arrête. Il parle mais je ne comprends pas ses mots. Il se met à crier de plus en plus fort. Je ne comprends toujours pas. Je suis effrayée. C’est important mais je ne comprends pas. L’homme (parce que je suis sure que c’est un homme) fait de grands gestes en direction de mes pieds. Je recule pour me mettre hors de sa portée mais très vite, je me retrouve acculée au mur de briques.  L’inconnu m’attrape violement pas le bras. JE CRIS ! Je me débats avec l’énergie du désespoir. PERSONNE N’AURA MES CHAUSSURES ! Je sens la lame glacé du couteau raclé contre mes côtes. J’ai mal. L’inconnu frappe encore. Cette fois-ci, sa lame franchis plus facilement la barrière de vêtement. L’acier froid s’incruste dans mes chaires et poursuit sa route à l’intérieur de ma poitrine. C’est douloureux ! J’HURLE mais personne ne m’entend. Une main gantée se pose brutalement sur ma bouche et mon nez. Je ne peux plus respirer.
 Je n’ai qu’un seul regret : Mes Chaussures…
 Je suis toute seule. Au loin Madonna continue de chanter.

Je me réveille en sursaut, la gorge sèche et le corps tremblant. Je suis frigorifiée. Il me faut quelques minutes pour me reprendre.  Je n’avais jamais acheté ces chaussures. Ce n’est qu’un cauchemar et on est Dimanche.
Dépitée, je sors de mon lit. J’ai beau retourné le problème dans tous les sens, je ne vois pas de solutions. J’ai même pensé à prendre un jour d’arrêt maladie. Mais avec ma chance, je risquerais de tomber sur la mauvaise personne au bon endroit. C’est vrai quoi ! Combien de personnes peuvent se targuer d’avoir été renvoyé pour arrêt maladie abusif ? J’avais pourtant eu si mal au genou.
  Peut-être pas un déplacement de la rotule mais c’est tout comme. Entendons-nous bien, l’idée même de croisée Barbie granny, (Mon ancienne manager payée 3000 € par mois pour pas grand-chose, quand je devais me contenter de mes 1325€ de salaires primes comprises), au salon de thé Mariage et Frère au Carrousel du Louvre, ne m’avait même pas effleuré l’esprit. Elle était pourtant si mince, si anti-glucide, mais apparemment les gâteaux au thé mâchai ne faisaient pas parti des aliments à bannir de sa vie. Grâce à elle j’avais été virée.
Depuis je fais très attention lorsque je suis absente. Je suis avertie.
Je pousse un énorme soupir.

Reste de la journée : Ses sandales j’y pense toute la journée. Au bureau, je suis sur Internet, cherchant d’éventuelles photos mais rien.  Je suis bredouille.
Le temps est long. Les clients sont chiants. Je pousse un nouveau soupir. Je dois tenir jusqu’à Samedi. Je désespère déjà alors que je dois encore patienter 118 Heures et 43 minutes, autant dire une éternité.

Le reste de la semaine : S’écoule de la même manière. C’est-à-dire : Dans une profonde et mélancolique dépression.

Samedi 7h 00: Humeur générale : Prête à conquérir le monde.
 Boulot: La boîte fait le pont (la banque a ses avantages).

9h30 : Je suis devant la boutique.
Seule, il n'y a personne d'autre. (J'avais même eu le temps de me perdre). Durant tout le trajet j'avais prié pour qu'elles soient là. Et les beautés ne m'ont pas déçu. Elles sont bien là qui m'attendent. C'est un signe. Elles me sont destinées. C'est écrit dans les étoiles ou le firmament peu importe.
Le thermomètre affiche 9°c, je ne porte qu'une veste et je suis gelée. C’est ma dernière acquisition payable en 3 fois sans frais et en promotion à 60%. Une si jolie veste en cuir cloutée IKKS de la collection Printemps-été 2014 (celle de l'année dernière certes mais ne disons-nous pas qu'il faut investir dans une veste en cuir noir). Il s'agit là d'une pièce intemporelle.
Mes écouteurs aux oreilles et le téléphone à la main, j'observe les minutes qui s'écoulent.

9h50 : Je suis gagnée par l'excitation. Ils ne vont pas tarder à arriver.
9h55 : Toujours personne. Je jette un coup d'œil aux horaires pour m'assurer ne pas m'être trompé. Vous comprendrez bien que sous le coup d'une forte émotion le cerveau peut être sujet à quelques hallucinations.
9h55’47 : Tout va bien. Je suis rassurée. 
10h00 : Personne.
10h05 : Je commence à perdre patience.
10h10 : C'est sûr, ils ne sont pas du tout sérieux. Aucune considération pour leur clients (je le serais bientôt). J’ordonne à mes pieds de rebrousser chemin mais ils ne veulent pas m'écouter. Les nerfs communiquant avec mon cerveau doivent être défectueux. Tant pis je patiente. Ce n'est pourtant pas faute d'essayer.
10h18 : Je m'apprête à m’accroupir sur le trottoir quand j'aperçois deux femmes qui s'avancent vers moi en souriant. C'est elles! Je sens déjà comme un lien qui se tisse entre nous. Je me lève instantanément, plaquant un sourire pour une publicité de dentifrice, sur mes lèvres. Elles me dépassent sans même me jeter un coup d'œil. Je referme la bouche déçue. Deux minutes plus tard, c'est au tour d'un homme au ventre proéminent d'une cinquantaine d'années, mais ce n'est pas lui. La même chose se reproduit quatre fois de suite. Je me lève à chaque fois que quelqu’un approche. Au moins je peux rattraper la séance de squats loupé ce matin. (Oui messieurs, vous ne pensiez tout de même pas que des fesses rondes et musclée comme Rihanna ou Beyonce c'est naturel ? Nous travaillons dur pour atteindre un tel résultat de perfection et sans mentir la concurrence est rude. Voyez Kim).
J'entends un bruit de clef et tombe subitement en arrière (J'ai l'impression de rouler en boule  après avoir mangé un bon indien).
Je me retrouve nez à nez avec une femme aux petits yeux, le visage bouffi, quelques mèches jaunes s'échappent de son chapeau à plume vert kaki. Etrange vraiment très étrange... Et encore plus étrange vu de ce côté. (Rappelez-vous, j’ai roulé en arrière). Je regarde plus attentivement son chapeau. C'est une plume de pigeon! Pourquoi tant de cruauté madame? Et une plume de pigeon en plus !
« Ma chèrrrie ce n’est pas dou tout chic ! La plume dou  flamand rouse aurrrait été boucoup mieux ». Merci Cristina.

- Bonjour…
- Bonjour. (Elle a une voix bourrue et rauque, à couper au couteau).
-  Je suis venue acheter une paire de chaussure. Curieuse je tends le cou pour voir à quoi ressemble cette boutique de l’intérieure.
- Lesquelles ?
- Celles-là !
À la limite de l’hystérie, je lui indique la paire en question. Vite ! vite ! vite ! Qu’elle me laisse entrer !
La femme se pousse. Je bondis  en avant.
- Quelle taille ?
- 37, je réponds aussitôt. Et euh…38. Je peux essayer les deux ?
-  Il doit nous rester encore une paire.
- Très bien, savez-vous comment elles taillent ?
Elle me jette un regard exaspérée et hausse les épaules. Je grince des dents (c’est pour la bonne cause, il faut la supporter. Mais il est clair qu’elle n’est pas très aimable).
- Elles taillent normalement.

Ça veut dire quoi normalement ? Est-ce que normalement pour elle est identique à mon normalement, donc taille standard ou est-ce que son normalement débute et prend fin à sa propre perception du normal ? Dois-je lui préciser que j’ai quelques antécédents d’anti-normalité ? Je ne comprends vraiment pas ce qu’elle veut dire surtout si l’on se base sur sa plume de pigeon vert. D’ailleurs, j’ignorais que ces volatiles avaient la faculté de changer de couleur (Je croyais que c’était seulement réservé aux caméléons). Sûrement un coup de la pollution, peut-être même des rayons ultra-violets. À force d’abuser des UV voilà ce qu’on y gagne.

La femme disparait de mon champ de vision, empruntant un petit escalier en colimaçon. Je sautille sur place impatiente, admirant les autres articles autour de moi : Sac, chaussure, cuir, accessoires… J’en soupire. Non ! Non ! Il faut que je me contente de ces chaussures.
La vendeuse réapparait avec trois boites dans les bras dont deux qu’elle me tend.
- Tenez ce sont les dernières.
Je tente de cacher mon excitation mais malgré moi, je souris comme une idiote.
- Vous pouvez vous installer ici.
Elle m’indique un pouf qui ressemble à un baril de pétrole. Je la déleste des boites avec tout le calme dont je suis capable. Traduction littérale : Je les lui arrache des bras !
J’ouvre la  boite. Je n’en reviens pas ! Enfin ! Après  une semaine d’attente,  je les tiens entre mes mains. C’est comme déballer son cadeau de  Noël avant l’heure !
                J’approche la boite de mon visage et hume la douce odeur de cuir. J’en ai les larmes aux yeux. Je sors délicatement les deux merveilles de leur papier de soie et caresse doucement le cuir souple. Le fin talon de 12 cm est presque aussi grand que ma main. Je pose les précieuses sur un vieux tapis crasseux. (Ça ne leur rend vraiment pas justice). Il ne faut surtout pas les abimer. Puis ouvrant lentement la fermeture éclair, je glisse mon pied à l’intérieur. Je me permets enfin un petit soupir de soulagement. Mon pied glisse parfaitement sur la surface lisse du cuir. Je remue mes orteils.
            "Coucous vous ! Comment allez-vous ici-bas ?"

Elles me vont tellement bien ! Si confortable, si belles !
J’admire mes pieds chaussés dans le miroir en face de moi. J’effectue quelques pas. Oh !!! Elles sont faites pour moi ! Je le sais, je le sens tout au fond de moi. C’est comme si durant des années, je les avais cherché. J’avais été amputé d’une partie de mon corps à la naissance et aujourd’hui, je suis enfin complète.

Je tourne sur moi-même, effectue quelques allers-retours.
- Elles sont si belles, je m’extasie à l’intention de la vendeuse.
- Oui elles sont en quantité très limitée.
Je dresse l’oreille.
- Ce sont des chaussures de créateurs, ajoute-t-elle.
- De créateurs ! Je m’exclame encore plus hystérique. Je n’en reviens pas ! Moi la fille la plus cool s’apprête à porter de véritables chaussures de créateurs en quantité très, très limité. Des chaussures uniques !
- Et le prix ? Je pose la question, comme si cela n’est qu’un détail sans importance.
- 240 €.
Je me fige. Je retourne mentalement le montant dans ma tête. 240€ !!!
- Profitez-en elles sont en soldes à moins 50%. Elles étaient à 480€.
- Ah oui ? Je souffle doucement.
     
Je ne possède pas une telle somme sur moi ! Ni nul part d’ailleurs! Je suis déjà à découvert et mon Livret A n’a qu’un service limité aux meubles de maison et il ne lui reste que 350 misérable Euros. Je dois être raisonnable. Et puis je dois acheter un nouveau frigo, le mien commence à rouiller des pieds à tel point qu’il laisse des trainées de bave orange sur le carrelage blanc. Ça fait tâche !
 Oui, mais les chaussures sont en soldes ! J’ai promis d’être une adulte responsable. Je pousse un soupir à fendre l’âme. Je reviens le plus lentement possible sur mon pouf et je les enlève la mort dans l’âme. Je les place dans la boite délicatement et les regarde à regret. C’est dur mais je dois rester forte. (En cet instant je ne suis absolument pas d’accord avec l’adage un de perdu dix de retrouver).

SOLDES ! SOLDES ! SOLDES ! SOLDES ! SOLDES ! SOLDES !

Raisonnable ! Solde ! Raisonnable ! J’ai promis de faire attention à mon compte bancaire ! Chaussure… Mon cerveau fait une fixette. Le virage mental n’est pas possible. Je tente de rétrograder mais ça n’a aucun effet. Mon cerveau est bien trop bloqué pour même songer à changer de vitesse. Une révision au garagiste du coin s’impose. Mais bon, je prends le taureau par les cornes et braque brutalement ignorant mon code de conduite habituel.
- Finalement je ne les prendrais pas, j’annonce doucement à la vendeuse.
Je vois bien qu’elle n’est pas contente et qu’à ses yeux, je lui ai fait perdre son temps. J’ignore pourquoi, je me sens contrainte de m’excuser. Elle s’est donné du mal pour aller me les chercher.
- Vous êtes sûres ? Insiste-t-elle.
J’hoche doucement la tête. Je caresse les boites à chaussures une dernière fois. Une manière de leur dire au revoir. Au moment de tendre les boites à la vendeuse, je trébuche sur un câble électrique (apparu comme par magie, j’en suis sûre), et elles tombent à terre.  Les chaussures s’en échappent.
- Oh non ! Je suis vraiment navrée !
Je suis rouge de honte. Je m’accroupis  et les replace pelle même  dans leur boites. La vendeuse s’en saisit visiblement mécontente. Ses petits yeux me transpercent sur place. Je grommelle un merci et fuis la boutique honteuse et désespérée.

Une fois dehors, j’effectue quelques pas et me retourne. Je secoue la tête. Je suis une adulte. J’ai pris une décision et je dois m’y tenir (plus facile à dire qu’à faire). Une fois arrivée au bout de la rue, je m’immobilise, sautille d’un pied sur l’autre et reviens sur mes pas pour m’arrêter de nouveau.

Non ! Non ! Non ! Je deviens folle. Je suis incapable de résister à la force d’attraction de la paire de chaussure.
Je me demande si la Relativité peut aussi expliquer ce phénomène. Non je pense que c’est de l’ordre de la force d’attraction. Où es-tu Isaac ?
 Je serre les poings et continue de marcher. Je suis forte, forte, forte. Je tente de m’encourager.
Et zut! C'est plus fort que moi.

 Je cours !… Cours !… Cours à toutes jambes sur la chaussé très, très humide. Je sais que je ressemble à une taré mais je m'en moque.  Je ne possède plus le contrôle de mon corps. Il est passé en mode automatique. J'entre dans la boutique telle une furie.
- Je les veux! Je crie. Les chaussures ! Je les veux! Je répète au cas où quelqu'un n'aurait pas compris.
Je suis à bout de souffle.
Je fais taire ma mauvaise conscience et dégaine ma Carte Bleue VISA. (Visa : Il faut signaler. C’est un détail d’importance qui s’oppose au simple Electron)
J'observe la vendeuse.
- C'est 37 c'est ça? Demande-t-elle.
Comme si elle ne le sait pas. J’ hoche la tête, à croire qu’elle est montée sur un ressort. C'est une erreur, au fond de moi je le sais mais...Je ne suis qu’une simple humaine de chair et de sang, tellement faillible. Oui je sais, c'est une énorme bêtise mais on ne vit qu'une fois et le frigo n'en mourra pas (Remarquez qu'il l'est déjà à moitié). Il y aura d'autres frigos mais pas ces CHAUSSURES.
- Cela fera 240€.

Quelle pingre ! Elle aurait pu me faire une ristourne. Les bons commerciaux savent flairer un bon client. En ce qui la concerne, elle attrape les mouches avec du vinaigre. Je tends ma carte bleue et tape mon code, puis valide. Je tends mon cou. La machine est lente. C'est le moment de vérité. Une phase cruciale pour toute acheteuse compulsive. Je déglutis, gigote, me ronge les ongles. Au bout de très longue secondes, la phrase magique apparait :

Paiement accépté.

Je suis euphorique, je me sens tout d’un coup plus légère.
Je récupère mon moyen de paiement et mon sac à chaussure me promettant que c'est la dernière fois. Je me prépare déjà à virer l'équivalent du montant de mon livret A sur mon compte courant.
Je ne peux m'empêcher de sourire.
Ça y est je les ai acheté! J’éloigne la petite pointe de culpabilité qui pointe le bout de son nez. Je ne laisserais rien ni personne me gâcher mon moment. En outre elles étaient en solde. C'est en quelque sorte un investissement pour l'avenir. L'an prochain j'aurais une paire de chaussures de moins à acheter. Des chaussures de créateur! Et Américain en plus, à moins qu'il ne soit Italien. Les Italiens sont la référence en matière de chaussure, il suffit de regarder les marques Ash, Air Step. .. En tout cas, il n'est pas chinois.
J'entends de très loin la vendeuse me parler mais je l'ignore. Je ressors de la boutique le visage épanouie, les cheveux ébouriffés et mon trophée à bout de bras.  
Je suis comme Alexandre Le Grand en plus féminine

J'ai gagné le round 3.
YOU WIN !


13h30 : Chez moi.
Une fois à la maison, je déballe ma nouvelle acquisition. J'ai mis un temps record pour arriver on aurait presque pensé que je volais. Je me sens bien, avec l'impression d'avoir effectué une bonne action.
Je les essaye. Bizarre. J'ai une sensation étrange. Je ferme la fermeture éclair et déambule avec. Vraiment très bizarre
À la boutique le pied droit ne me semblait pas si grand. Peut-être que mon pied gauche  à gonfler depuis ce matin. Je marche en prenant soin d'effectuer de petits pas. Je ne suis toujours pas satisfaite.
J’effectue encore quelques allers retours avant de me rasseoir sur mon canapé, pensive.
Intriguée, je finis par me déchausser et les regarde longuement. A la boutique, elles m'avaient parus si parfaite. Je les pose l'une à côté de l'autre. Le pied droit me semble plus grand que le gauche. Serait- ce un effet de mon imagination?
Je retourne les chaussures et là. ..
HORREUR!!!
37 et 38 !!!

Les chaussures étaient de pointures différentes.

Après m'être donné tant de mal! Apres avoir dépenser l’argent que je ne possède même pas ! Mon investissement pour l’avenir vient de s’envoler.
Mais comment une telle chose avait pu se produire ?

FLASHBACK : Mon cerveau rembobine la pellicule. Il  possède la touche REPLAY. C’est une option génétique particulière originale et très utile dans des cas comme celui-ci. Heureusement pour moi.
Je me revois encore dans la boutique. J’essaye les chaussures puis finalement renonce à les acheter. J’ai  les boites de chaussures à la main. Je rejoue chaque secondes au ralenti. Je percute ce câble. Et soudain : La Chute ! les boites tombent à terre.  Je les ramasse sans aucuns égards et les tend à la vendeuse.
C’est forcément à ce moment-là que l’échange a eu lieu. Le câble qui est apparu comme par magie. C’est encore un coup du Karma.
Je respire un grand coup, il faut que je me calme.

12h40 : Je peux le faire ! Si je me dépêche, je serais de retour à la boutique avant 14h00.
Je sors de mon appartement la boite à chaussure sous le bras. Sauf que je la trouve bien légère. Oh Misère ! Les chaussures sont restées à l’intérieur. J’y retourne et m’empare de l’arme du crime. Cette fois-ci, je vérifie bien que j’ai tout.

13h43 :
Je l’ai fait ! Je suis devant la boutique. En sueur et à bout de souffle mais j’y suis ! C’est drôle de voir à quel point les petits tracas de la vie peuvent se transformer en un véritable enfer et se leaguer contre vous lorsque vous êtes pressée. En plus je m’étais perdue. (Mais ça ne compte pas vraiment, c’est compris dans mon temps de trajet. J’ajoute toujours au minimum un quart d’heure pour avoir le droit de me perdre, ainsi, je suis sûre d’être à l’heure. On peut donc dire de moi que je suis une personne très prévoyante).
Dès qu’elle me voit, la vendeuse prend un air revêche. (J’ai un visage inoubliable !) Hé ! Je suis quand même une cliente, faire preuve d’amabilité  ne la tuerai pas. Je l’entends déjà soupirer. Elle me fusille du regard.
- Nous ne remboursons pas, déclare-t-elle d’un ton sec en me montrant un papier jaunie collé au mur avec du scotch grotesque et noirci.

« Pas de remboursement, échange seulement »

  L’inscription rouge vif me fait mal aux yeux.
Ça tombe bien, je ne suis pas venue pour ça. Elle a surement peur de perdre mon argent. Je sors les dents, je ne vais quand même pas me laisser faire plumer par cette vendeuse sans foi ni loi. Je m’éclaircis la gorge.
- Ce n’est pas pour cela que je suis passée. Il y a un problème avec les chaussures. Elle me décroche un regard peu amène. J’ai un pied plus grand que l’autre, je poursuis.
Je secoue la boite sous son nez.
- Dans ce cas-là, allez consulter un podologue.
Je me sens violement rougir. Reste calme…Reste calme. Décidément cette phrase est devenue mon mantra quotidien (Pour cette journée en tout cas car en général c’est « Panique »).
- Vous m’avez donnez une taille 37 et une taille 38.
Je lui montre la boite.
- Ah.
Quoi ! Juste Ah ?
- Je veux que vous me rendiez la bonne chaussure. J’insiste lourdement ma main sur le comptoir ébréché.
- Impossible.
 Sa voix est si monotone. Comment peut-elle rester si calme ?
- Pourquoi impossible ? J’ai comme l’impression que mes yeux virent aux rouges.
- Elle a été vendue cette après-midi.
- Vendue ? Je répète incapable d’y croire.
Tout mais pas ça ! Je viens d’avoir l’affreuse image de mon rêve qui se brise.
Ma quête ne prendra jamais fin. Je ne trouverais pas mon Moi intérieur finalement.
- V-E-N-D-U, répète la vendeuse en articulant très lentement. Elle me prend pour une débile ou quoi ? Je grince des dents. Décidément, le sort s’acharne contre moi.
 - Mais que vais-je faire ?
- Si vous voulez on peut exceptionnellement faire un échange, suggère la vendeuse. Bien que ce ne soit pas du tout la politique de la maison.
Et l’affiche alors ! La moutarde me monde au nez.
- Échanger ? Mais je ne veux pas échanger. C’est Elles que je veux !
- Alors gardez-les. Qui le saura de toute manière ?
- Moi je le saurais.
Elle me demande ni plus ni moins d’abuser les gens. Quelles insanités, débite-t-elle là?
- Écoutez nous allons fermer, en plus c’est votre faute aussi.
- Bien sûr que non ! C’est vous la vendeuse, c’est à vous de vérifier la marchandise à chaque ventes. Vous auriez dû vérifier que j’avais les deux pieds de la même pointure !
- Sortez d’ici ! Vous me faites perdre mon temps.
- Non ! Je resterai là.
- Sortez de là ou j’appelle la police.
Bon d’accord, c’est un argument de poids. Je réfléchis un instant.
- Très bien, mais je veux le nom de la personne qui les a acheté.
- Nous n’avons pas le droit de divulguer ce genre d’informations.
Et le contrôle d’identité alors ? Bon en plus, elle n’a pas nié, donc elle connait forcément l’identité de l’acheteur.
- Dans ce cas-là, j’attendrais la police en votre compagnie.
Je m’installe confortablement sur le pouf, la boite à chaussure serrée contre mes genoux.
 L’impression qu’elle n’a pas plus que moi, l’envie d’être confronter aux  policiers ne m’a pas échappé.

Aucune de nous ne parle. La vendeuse surveille l’horloge. De temps à autre nous nous jetons des regards par-dessus l’épaule. Laquelle craquera la première ?

14hOO : Je n’ai vu personne franchir la porte d’entrée.
14h15 : Toujours personne. Le silence est total.
14h35 : Elle n’y tient plus.
- Très bien, tenez.
Elle me donne une petite carte très élégante sur laquelle n’est inscrit qu’un simple nom:

L.BUISSON


- Et son prénom ?
- Je l’ignore.
- Comment est-il ? Homme ? Femme ?
La vendeuse soupire exaspérée.
- Environ  1m80, brun et tempes grisonnantes, assez costaud.
Je plisse les yeux. Où est l’arnaque ? C’est sûr, il y en a une. Tous ses renseignements d’un coup cachent quelque chose…
- Très bien, mais si vous m’avez menti…Je la menace en fronçant les sourcils
- Tout ce que je veux c’est que vous disparaissez.
- Sachez que je ne prendrais pas votre carte de fidélité.
Elle hausse les épaules.
- Nous n’en avons pas.
- Vous êtes la honte du service commercial. Vous ne méritez pas votre métier, vous ne faite preuve d’aucun dévouement, aucune considération pour vos clients. Je continue avec un ton hautain. Si vous voulez mon avis…
- Je me fiche de votre avis. FOUTEZ LE CAMP ! DE MA BOUTIQUE !

Cette femme est vraiment méchante ! Je sors sans perdre un instant,  j’ai des chaussures à retrouver. Et je vais pouvoir réaliser l’un de mes rêves d’enfants :

DETECTIVE PRIVE !


            Je m’imagine déjà, je serais chic, classe, comme Lois Lane. Je suis la nouvelle Sherlock Holmes des temps moderne avec la pipe en moins et une paire de talons aiguille en plus.

Aucun commentaire :

Enregistrer un commentaire